B17 : Randonnée conteuse

En cet après-midi du premier mai 2018, l’association « les Yeux fermés » a eu l’excellente idée d’organisée une randonnée conteuse : une petite marche en forêt où nous avions tout le loisir de nous prendre pour Jules Renard observant sa campagne chérie et tirant de la rencontre des fougères et nombrils de Vénus, nombre d’histoires passionnantes.


Objectif : comment aller à la rencontre d’une succession de paysages et travailler notre art de l’observation, de la description et de la dramatisation de la description.


   Les règles de l’observation :

  • Le beau se cache dans les détails. Il ne suffit pas de regarder ce qui est évident, ce qui est central. Il faut balayer du regard tout ce qui traîne ici et là.
  • Il y a le très grand (le milieu, le ciel), le grand (les arbres, les rochers), le moyen (les arbustes et les chemins), le petit (les plantes, les oiseaux) et le tout petit (insectes, mousses) et chaque chose nourrit l’observation à sa manière.
  • Il n’y a pas de secret : il n’y a pas de regard sans culture, il n’y a pas de culture sans effort ; il faut donc apprendre à connaître son environnement pour pouvoir nommer ce que l’on voit et lui donner du sens.
  • L’œil averti n’oubliera pas les couleurs, il y a des barils entiers de nuances qu’on peut percevoir.
  • Il y a ce qu’on voit, il y a ce qu’on entend.
  • Il y a ce qu’on entend, il y a les odeurs qu’on sent.
  • Il y a ce que la peau sent, il y a ce que la main touche et pourquoi pas, ce que les lèvres gouttent.
  • On laisse son cerveau combiner les différentes perceptions et explorer l’humidité de l’air et de la terre, la température, les lumières, les dénivelés, les impressions (vide et plein, ouverture et fermeture), les mouvements des choses et des êtres…
  • Une description n’est pas l’énumération de choses qui sont perçues mais leur organisation pour servir un symbole, une histoire, une péripétie ou une expérience émotionnelle : il faut dégager les idées et les organiser.
  • On commence quelque-part et on va quelque-part, une description est un mouvement de l’esprit : de l’ombre à la lumière, d’un sens à l’autre, du petit au grand, d’un élément à l’autre, du lointain vers le proche…
  • Le travail n’est terminé que chez soi, bien plus tard, quand à partir de ses perceptions, on a écrit et réécrit jusqu’à parvenir à ce qu’on pouvait souhaiter.

Exemple de description :

Lieu : Commune d’Inzinzac-Lochrist, Forêt de Trémelin, Circuit du Ty-Mat après 1km500 environ de marche.

Elle semblait heureuse de s’être arrêté là mais lui trouvait l’endroit inquiétant. Ce n’est pas l’œil du jeune garçon mais son pied qui avait, le premier, su la misère qui sévissait sur le plateau forestier. La terre y craquelait car gorgée de sécheresse. La jeune fille préférait se laisser éblouir par la clarté solaire et la chaleur bienvenue que la faible canopée n’arrêtait pas. La pluie de la veille, illusionniste comme sait être la pluie, avait permis près du chemin, l’apparition d’un tapis d’agrostide : herbe verte et généreuse.

Il croyait comprendre mieux qu’elle la nature profonde de ce bout de lande boisée. Au roulement de gravier de terre pulvérulente, son pied ne pouvait le tromper sur l’indigence des lieux. Un genêt sournois au bord du chemin se félicitait d’avoir anticipé la lente transformation du plateau en faubourg sauvage sous l’effet du déclin hydrique qui frappait la colline toute entière.

Là tout autour, les arbres squelettiques grimpaient vers le ciel, sinueux et noueux, et subissaient tant la misère que plusieurs s’étaient déjà effondrés en tapis de bois mort. A quelques mètres, à l’ombre du riche sous-bois voisin et bien irrigué, des hêtres, des chênes, des châtaigniers dix fois plus larges régnaient paisiblement sur l’obscurité qu’ils nourrissaient de leur feuillage mais ici, pas un arbre pour soutenir une parcelle d’ombre. Rien…

Un sapin parvenait même à dépasser en taille les plus vigoureux des hêtres maladifs et fanfaronnait en mariole parvenu avec ses branches grêles et mollassonnes. Ici ne survivaient que des arbres voyous, teigneux et sans éducation, qui parvenaient à tirer les dernières ressources disponibles du bois de misère dont ils avaient hérité. Ils rackettaient jusqu’à la mousse qui ne parvenait pas à s’étendre.

Un peu à l’écart, juste de l’autre côté du chemin, braillaient un chef de bande et son lieutenant. Le jeune freluquet avait su se donner de l’importance en se parant de joaillerie de lierre clinquante et tapageuse et son lieutenant, la cime dégarnie, semblait manigancer les pires affaires.

« Petit homme de la vallée » lui avait-elle dit « Petit homme des champs de terre noire qui ne sait rien des endroits reculés de la forêt, tu ne trouveras ici aucun homme méchant car l’homme méchant ne trouverait pas à s’y cacher. »

Elle se baissa et arracha une flouve. Elle en porta les racines odorantes jusqu’aux narines de son amoureux pour qu’il s’enivre de l’odeur amère de paille mouillée qui s’en échappait et lui, prit plaisir un instant au soleil retrouvé.

Elle avait décidé qu’ils s’arrêteraient là au milieu de cette chaude et douce cour du miracle végétal.

 

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